Des études montrent que l’organisation d’entretiens d’évaluation ne fait pas une grande différence. Dans ce cas, pourquoi ne pas les supprimer ? Ou est-ce qu’on s’y prend mal ? Ne ferait-on pas mieux de parler avec nos collaborateurs en abordant leurs talents ?
Une formalité ennuyeuse
Tant les dirigeants que les collaborateurs ressentent souvent les entretiens d’évaluation comme une formalité ennuyeuse imposée par les RH. On mène l’entretien à vitesse grand V, on complète les documents associés avec des expressions standard, on ne prend pas le score au sérieux, et l’entretien met surtout l’accent sur les erreurs, les manquements, l’absentéisme, l’exaspération. Résultat : les deux parties sont satisfaites rétrospectivement que ce soit terminé, mais sans tirer grand profit de toute cette procédure. C’est un fait qu’on rate ainsi complètement un but utile en soi, et dans ce cas, il vaut mieux supprimer ce genre d’entretien.
Mais peut-être que la vérité est plus complexe que cela ? Peut-être que le problème réside dans le format de ces entretiens, qui ne soutient pas l’objectif ?
Productivité et efficacité
Cela fait longtemps que la politique d’entreprise a tendance à se concentrer sur la productivité et l’efficacité. Prévoir du temps pour les contacts entre les collaborateurs semble une perte de temps, de moyens et donc de bénéfices. Les moments de concertation sont donc réduits au minimum, et l’échange d’informations nécessaires au progrès des processus d’exploitation est automatisé. Dans certaines maisons de repos modernes, les soignants ne communiquent plus que par le biais de bases de données, et l’on chronomètre le temps que prend chaque soin apporté à un patient. On entend ainsi éliminer les actes superflus afin de pouvoir soigner davantage de patients en un laps de temps plus court. Au sein de certains cadres de management, cela semble un cas d’école d’innovation et d’efficacité. Ce faisant, ils oublient hélas un facteur d’importance : le hardware de la machine qui doit exécuter tout cela : l’homme.
Le burn-out nous guette
Conséquence : les collaborateurs décrochent en grand nombre. Une fois malades chez eux, la première chose qu’ils cherchent est une bonne conversation dans le cadre de laquelle ils sont compris et soutenus au sujet de leurs talents, soucis et intentions. Les généralistes, coachs en carrière et désormais aussi les coachs burn-out ne savent plus où donner de la tête. Les psychologues et psychothérapeutes travaillent souvent avec une liste d’attente de plusieurs mois. Les formations de pleine conscience et similaires connaissent un succès sans précédent.
Les histoires de ces patients montrent qu’ils éprouvent une sensation indéfinissable d’isolement ce qui les amène à rechercher des ‘liens’, des contacts dans leur vie. Et si le lieu de travail ne leur en offre plus l’occasion, ce qui les pousse au désespoir et à l’épuisement, ils ressentent la nécessité d’y investir eux-mêmes.
Responsabilité
J’entends déjà la réflexion : un employeur n’est pas un thérapeute ! C’est une idée inspirée de la conviction que le burn-out constitue un problème individuel et que chacun est responsable de sa propre santé et son propre fonctionnement. C’est en partie vrai, et les thérapeutes et coachs font un bon travail de ce point de vue. Mais cela ne tient pas compte du fait que chaque individu fonctionne dans un cadre physique et un système social qui peut soutenir ou miner la personnalité. De ce point de vue, chaque dirigeant porte une responsabilité.
À la recherche d’un ‘lien’
Solidarité, fraternité, esprit d’équipe, pouvoir partager ensemble les succès, bâtir sur les idées de chacun, avoir un interlocuteur attentif, se sentir apprécié… ce ne sont pas des concepts softs inventés par des gourous de la formation. Notre cerveau est ‘câblé’ pour chercher le contact avec des congénères et y puise l’énergie pour agir de façon créative et productive. En l’absence de contacts sociaux et d’une sensation de sécurité émotionnelle en relation avec l’autre, l’homme présente diverses plaintes psychiques et physiques.
Parmi les premiers symptômes, signalons une démotivation, du cynisme, de l’indifférence, une agressivité verbale voire même physique, un comportement récalcitrant, une tendance au harcèlement, de la réserve. Si ce comportement n’est pas reconnu comme symptôme, le collaborateur finit par décrocher ou tomber malade. Dans la réalité, on observe que ces symptômes sont plutôt pénalisés, et que l’entretien d’évaluation constitue une occasion rêvée de le faire. Il ne s’attaque pas à la cause; il ne fait que perpétuer le problème, voire l’aggraver.
Motiver versus contre-motiver
Peut-être ne faut-il pas mettre en question les entretiens en soi, mais bien leur forme et l’ambiance dans laquelle ils sont menés. Comment dès lors concevoir le mieux possible ces entretiens avec les collaborateurs ?
Des recherches menées par Maarten Vansteenkiste pour le Centre de psychologie de motivation de l’Université de Louvain ont montré que des cobayes qui pouvaient poursuivre des objectifs intrinsèques et déterminer eux-mêmes la manière d’y parvenir réalisaient de meilleures prestations. Imposer des objectifs, des procédures et des méthodes par le haut, ainsi que leur récompense ou leur pénalisation, est souvent nécessaire pour assurer un fonctionnement souple, mais peut s’avérer contre-productif.
La réalité montre que les entreprises qui réussissent à faire coïncider leur gestion avec les valeurs que leur personnel poursuit dans la vie peuvent compter sur des collaborateurs plus satisfaits, plus sains et plus productifs.
Entretiens de talent
Peut-être a-t-on davantage besoin d’entretiens de talents que d’entretiens d’évaluation ? Des entretiens dans le cadre desquels le talent du collaborateur en question est considéré comme étant tout aussi précieux que les matières premières, la technologie et les procédures, et pendant lesquels on cherche donc ensemble la façon optimale de les mettre à l’œuvre et de les déployer. Cela exige un changement de mentalité. Nous devons oser considérer les erreurs comme des opportunités d’apprentissage, les succès des autres comme une source de joie, le comportement embarrassant des autres comme une opportunité d’évoluer vers la collégialité et le professionnalisme, ne pas voir les autres comme un ennemi ou une charge potentiel(le), mais comme un partenaire d’équipe. Et balayer les préjugés usés qui s’opposent à cette approche.
Mener des entretiens de talents implique aussi que nous développions nos aptitudes de communication pour créer un lien dans le contact avec notre collègue. D’après Marshal Rosenberg, il existe 2 façons complémentaires pour créer une communication associative :
- En considérant vos propres jugements et idées sur l’autre comme une expression de votre sentiment de frustration et de désir de quelque chose que vous n’éprouvez pas actuellement, et en le communicant de cette manière : je me sens frustré et j’ai besoin de…
- En considérant le comportement de l’autre comme une expression de son sentiment de frustration et de désir de quelque chose qu’il n’éprouve pas actuellement, et de l’interroger à ce propos de manière ouverte et empathique.
C’est une aptitude que nous n’avons généralement pas acquise pendant notre éducation, mais qui est heureusement de plus en plus intégrée dans notre culture. Son application conduit à des résultats remarquables.
À vous de voir si vous acceptez l’invitation de contribuer à un climat sain dans lequel nous pouvons croître et nous déployer comme êtres humains, créer et produire.
Inge Thijs assure des formations de communication et des trainings de pleine conscience pour Kluwer Formations et l’Instituut voor Aandacht en Mindfulness (Institut d’attention et de Mindfulness). Elle encadre des collaborateurs et des dirigeants dans leur quête et développement d’une collaboration constructive et d’un leadership inspiré.