Quelles sont les conséquences de règles de sécurité trop rigides ?

Une règle ne devient une règle qu’à partir du moment où son non-respect a des conséquences. Il y a une dizaine d’années, cette idée fut à l’origine d’une nouvelle tendance dans la prévention et la sécurité au travail. Il s’agissait, parallèlement à l’introduction de la règle de sécurité, de communiquer immédiatement la sanction en cas de non-conformité. La sanction brandie comme une menace ! Mais une telle politique de conformité fonctionne-t-elle vraiment ? 

 

Super-règles

La politique de conformité renforce la règle de sécurité. Mais à un moment donné, vu la quantité de règles en place, des super-règles, appelées Life Saving Rules ou LSR (Règles pour sauver des vies), ont été introduites. Ces règles sont nées d’une préoccupation profonde pour une chose très précieuse : la vie humaine. Chez Shell, précurseur de cette tendance, l’introduction des LSR fut assortie d’une grande campagne de communication complétée par de nouvelles icônes. Dès le premier jour, tous les niveaux de management ont été fortement impliqués. Dans un langage un peu musclé, le management avait fait comprendre que les super-règles étaient assorties d’une super-sanction, et que le non-respect des LSR entraînerait un rappel à l’ordre sévère, voire un licenciement.

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Les premiers effets

La psychologie sociale nous a appris que la menace de lourdes sanctions à court terme entraînait toujours une réaction de peur et donc une vigilance accrue. C’est ce dernier point en particulier qui favorise la préparation générale et incite les travailleurs à faire preuve de prudence. Par la suite, Shell a montré avec fierté que la tendance s’était inversée. Peu de temps après l’introduction des LSR, le nombre d’incidents mortels a fortement baissé. Sans en avoir conscience, de nombreuses familles pouvaient dire merci à ces nouvelles règles.

 

Conformité

Il était donc logique d’en déduire l’existence d’un lien entre le risque de sanctions, le respect des règles et l’augmentation du niveau de sécurité au travail. À l’instar de Shell, de nombreuses autres organisations ont introduit (leur propre variante) des LSR. Des autocollants identiques ou similaires sont apparus sur de nombreux sites industriels et les sanctions ont été largement appliquées. Même le monde juridique s’est adapté. Les juges ont accepté le non-respect de ces règles comme motif de licenciement valable si, dès leur introduction, il était clairement indiqué que leur non-respect pouvait entraîner une rupture du contrat de travail.

 

L’imitation n’est pas un gage de réussite

Étonnamment, les effets positifs constatés chez Shell ont été nettement moins visibles, voire absents, dans les autres organisations. Étrange… Les règles de sécurité étaient pourtant comparables, tout comme les sanctions. Mais alors, pourquoi ces mesures ont-elles fonctionné chez Shell et échoué chez les autres ?

 

Une autre explication

Selon la perspective de la Brain Based Safety, il semble légitime de remettre en question l’existence du lien entre la menace de sanction et l’effet positif sur la sécurité. Il se peut donc que le succès de Shell soit dû à d’autres éléments. Shell avait en effet eu recours à une campagne de communication bien organisée (principe 7 des 7 principes de leadership pour un comportement sûr, article en néerlandais). De plus, une attention considérable avait été portée au management, qui s’était montré visible et très impliqué durant l’introduction (principe 4). Cela pourrait expliquer les résultats nettement moins probants observés au sein des organisations qui avaient imité Shell, mais n’avaient ni insufflé de sentiment d’urgence auprès du management ni organisé une solide campagne de communication.

 

Effet secondaire indésirable

Plusieurs années se sont écoulées depuis. Dans nombre d’organisations, l’impact de l’introduction des LSR a disparu, mais les sanctions sont restées. Des sanctions qui provoquent aujourd’hui un effet secondaire indésirable : les collaborateurs craignent de dénoncer certains problèmes ou de signaler un comportement dangereux. Ils ont l’impression que certains serviront d’exemples alors que le problème est en réalité bien plus profond. Il est rare qu’un incident soit dû au comportement d’une seule et unique personne. C’est pour cette raison que la légitimité de certaines sanctions est mise en doute. En réalité, les sanctions ébranlent la sécurité sociale dans les organisations (principe 1 des 7 principes de leadership pour un comportement sûr, article en néerlandais). En conséquence, les collaborateurs ont plus vite tendance à se taire. Le fait de parler peut en effet être considéré comme une dénonciation de collègues ou du patron.

 

Le principe de base

Cette constatation nous oblige à revenir au principe de base. L’objectif est d’instaurer une culture de sécurité plus forte dans laquelle les règles de sécurité gagnent en impact et sont respectées. Une petite comparaison avec la vie privée serait peut-être instructive. A-t-on jamais vu un adolescent rebelle se mettre à étudier sérieusement sous la menace de sanctions sévères ? Il est en tout rare que ce soit le cas. En revanche, s’asseoir autour d’une table, discuter du problème et de sa gravité et chercher des solutions est beaucoup plus efficace. Il en va de même dans la vie professionnelle.

 

La communication renforce

D’un point de vue psychologique, une règle se renforce si les individus communiquent lorsqu’elle est enfreinte. Dans un premier temps, la communication peut consister à exprimer de la colère et de l’inquiétude. Mais une fois la pression relâchée, le manager veut comprendre pourquoi la règle n’a pas été respectée. Dans certains cas, l’incident sera dû à un comportement laxiste et irresponsable, comme chez l’adolescent rebelle. La sanction peut alors être efficace pour stimuler l’intéressé. Mais dans la plupart des cas, on découvre que le non-respect des règles de sécurité provient de l’attachement au processus dont font preuve les collaborateurs qui mettent du cœur à l’ouvrage.

 

[blockquote align= »none » author= »Juni Daalmans »]C’est là où le bât blesse qu’il y a des leçons à tirer.[/blockquote]

 

Une politique de conformité implique une analyse

Plutôt que se focaliser sur la sanction, le manager a tout intérêt à privilégier une forme d’(auto)-analyse. C’est là où le bât blesse qu’il y a des leçons à tirer. Comment un environnement de travail dans lequel un collaborateur est tenté de mettre sa propre sécurité (ou celle d’un autre) en danger pour atteindre l’objectif de l’organisation peut-il exister ? La réponse à cette question peut aider le manager à mettre en place une meilleure organisation. À son tour, le collaborateur pourra mieux comprendre son comportement (Comment ai-je pu être aussi bête ?) et, à partir de là, devenir un exemple pour son entourage. Une telle analyse est dès lors beaucoup plus précieuse qu’une sanction.

 

Processus d’apprentissage

La grosse différence entre l’attribution de sanctions et l’analyse approfondie de l’intention du « coupable » est qu’aucune leçon n’est tirée dans le premier cas, contrairement au second. Sanctionner signifie isoler le problème jusqu’à la plus petite proportion possible (un ou plusieurs individus). L’entourage a donc carte blanche pour continuer comme avant, ce qui n’est pas la bonne recette pour stimuler le développement d’un comportement plus sûr au travail.

 

Adaptation sociale

Si la politique de conformité reste bloquée dans l’exercice d’un contrôle et la distribution de sanctions aux « coupables », on applique strictement les principes de contrôle du processus. Dans de rares cas, c’est hélas nécessaire. Cependant, si l’on procède à une analyse dans laquelle l’infraction à la règle est considérée comme un phénomène du système dans son ensemble, on commence à apprendre et à évoluer. On entre alors dans le domaine de l’adaptation sociale, où l’organisation se nourrit d’informations issues du terrain.

En appliquant cette méthode, on se renforce mutuellement et le monde devient plus sûr.

 

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Juni Daalmans

Juni Daalmans est un psychologue spécialisé dans le domaine de la sécurité et directeur de Brain Based Safety, une organisation qui vise à améliorer les comportements sûrs et à renforcer la culture de la sécurité.

 

 

Source : cet article a été initialement publié en néerlandais sur le blog Brain Based Safety.

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